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Dulcibric-à-brac
3 février 2020

Max, ou l'excellence

max_de_face_2Max doit son nom à sa marque de fabrique: McSpadden [lien] (prononcer MacSpadden) qui est aujourd'hui, à côté de Folkcraft, l'une des deux grandes sociétés de fabrication de dulcimers aux Etats-Unis. Les locaux de cette société, qu'on appelle aussi Dulcimer Shoppe, sont situés à Mountain View dans l'Arkansas (AR). On est dans la région des Monts Ozarks qui sont, après le sud des Appalaches, un des hauts lieux de la dulcimérie.

Les Monts Ozarks, ou plus simplement les Ozarks sont une vaste région montagneuse intercalée entre la chaîne des Appalaches à l'ouest et celle des Rocheuses à l'est. Elle englobe l'est du Kansas et de l'Oklahoma, le sud du Missouri et le nord de l'Arkansas.

Le nom pourrait dériver d'une ancienne appellation française "aux arcs", faisant allusion au bois dont les indiens locaux faisaient des arcs particulièrement puissants. Il pourrait aussi s'agir d'une contraction des noms des deux principales nations indiennes occupant initialement la région: Osages et Arkansas (Os + Ark → Ozark).

Avec Max, décrit ici, ce sont trois de mes dulcimers qui proviennent des Ozarks; les deux autres sont Kite (voir [lien] Le petit dernier du 16/02/2018) qui vient de Branson (MO) et Nut (voir [lien] Ben et Nut du 13/01/2019) qui vient, lui, de Burns (KS).

souce: Tosborn (sur Wikipédia anglais)

Un peu comme en Europe, on retrouve des traditions culturelles et musicales assez proches parmi les populations des régions montagneuses, peut être en raison de conditions de vie similaires imposées par le milieu. Dans le cas qui nous intéresse ici, il y a aussi eu une diffusion de la culture des Appalaches par migration, au XIXème siècle, depuis le Tennessee, le Kentucky et la Virginie, et d'autres parties du sud des Appalaches. Ces migrants n'ont pas été les premiers à s'installer dans les Ozarks, mais en ont été le groupe le plus grand et le plus influent. Au point qu'on qualifiait quelquefois (très improprement) la région d'Appalaches de l'Ouest. En conséquence, une grande partie des traditions populaires des Ozarks, dont la musique, sont à peu de choses près les mêmes que celles rencontrées dans de sud des Appalaches. Le dulcimer en fait partie: il est présent dans les Monts Ozarks dès les années 1850.

Les particularités culturelles des deux communautés sont bien décrites dans les livre de W.K McNeil: "Ozark Country" (University Press of Mississipi Jackson, 1995) et de Ralph Lee Smith: "Appalachian Dulcimer Traditions" (The Scarecrow Press, 2010). En accord avec mon dada bien connu de fouiller un peu les origines de mes dulcimers, voici quelques mots sur l'histoire de McSpadden, qui s'inscrit directement dans ce qui vient d'être dit à propos des Ozarks.

Lynn McSpadden (1937-2014), le fondateur éponyme de la société, était fils d'un pasteur méthodiste et fut lui même ordonné prêtre. On raconte que pendant ses études de théologie à la Duke University il aurait entendu un ami, originaire de Virginie occidentale ou du Kentucky, jouer d'un dulcimer et il aurait ainsi décidé de s'y intéresser, peut être en relation avec sa vocation (interprétation personnelle). Dans ces régions en effet, il existe une forte tradition d'accompagnement des cantiques par le dulcimer. En 1962-63, il construisait son premier dulcimer à partir de photos. Après le succès plus ou moins retentissant de l'essai, des amis lui auraient demandé d'en faire également pour eux et, de fil en aiguille, une petite production s'est mise en place de cette manière.

the dulcime shoppeAvec l'aide de son père et de son frère, Lynn a ouvert la Dulcimer Shoppe à Montain View (AR), qu'il a dirigée lui-même jusqu'en 2000. Le but était de developper des architectures et des méthodes de construction compatibles avec une production en quantité respectant la qualité: la recherche d'une certaine excellence, en somme. En dépit d'une production abondante, la fabrication de chaque dulcimer McSpadden reste assurée par un luthier qui appose sa signature dans l'instrument.

Selon Lynn McSpadden lui-même, le modèle à l'origine de la "facture" McSpadden était un dulcimer construit en 1923 par un certain McKinley Craft, localisé à Bath dans le Kentucky (donc, dans les Appalaches), qu'il aurait envoyé à son cousin Joe Craft habitant à Leslie en Arkansas (donc, dans les Ozarks).

La société a finalement été acquise en 2001 par Jim et Betty Woods, qui perpétuent la tradition des anciens modèles tout en en développant de nouveaux. Pour donner une idée de la marche des affaires, la sortie du 50000ème instrument a été fêtée en 2006.

Pour revenir à l'objet de cet article, Max est un dulcimer en forme de sablier (angl. hourglass) entièrement fait en cerisier (sans doute black cherry américain: Prunus serotina).

Max vu du dessus

La table d'harmonie et le fond sont assemblés en pages de livre ou en ailes de papillon, comme on préfère (angl. bookmatched) avec quelques jolis effets de teintes dûs à la présence d'un peu d'aubier plus clair sur toute la longueur du fond et sur la table, au niveau du lobe supérieur, au dessus des deux petites ouïes.

Max devant derrière

Le bois utilisé est très fin. Il mesure à peine un millimètre et demi pour la table d'harmonie et le fond et les éclisses sont probablement dans le même cas. L'instrument montre cependant une rigidité parfaite, grâce sans doute à une touche relativement haute. La finition d'ensemble est impeccable. Le logo McSpadden est gravé en travers du strum hollow, que je ne sais toujours pas traduire en français (creux de grattage ???).

La tête est plate, légèrement inclinée par rapport à la touche pour donner l'angle des cordes, avec quatre clés d'accordage de type guitare à engrenage (angl. geared tuners) qui permettent un accordage très précis. Une frette 0, en aval du sillet de tête, définit l'origine de la longueur vibrante des cordes (VSL = Vibrating String Lenth, ou diapason).

Max regardé de travers

Le cordier est tout simple avec les quatre ancres de cordes fixées à l'arrière dans le bloc terminal. Deux gros boutons chromés fixés dans les blocs avant et arrière permettent d'assurer l'instrument en cours de jeu avec une sangle (angl. strap)

Comme on peut voir sur les différentes photos, le sillet de chevalet est oblique par rapport à la touche, de sorte que la VSL n'est pas exactement la même pour les trois cordes. Son arête supérieure (là où reposent les cordes) est elle aussi sensiblement inclinée, de sorte que la corde des basses, qui est plus épaisse et plus rigide que les deux autres, se trouve légèrement surélevée et demande un peu plus d'action.

C'est à ce genre de détail qu'on mesure le degré de précision apporté dans la construction de ces dulcimers. En revanche, et peut être en conséquence, je trouve personnellement que la corde des basses sonne trop fort par rapport aux deux autres. C'est d'autant plus gênant que j'utilise habituellement les mêmes cordes Elixir Polyweb que pour ma guitare acoustique. Elles génèrent un assez grand niveau sonore et surtout elles minimisent les bruits des glissements de doigts grâce à l'enrobage des cordes filées. J'ai réussi à limiter un peu le problème en intercalant un petit morceau de tissu entre la corde et l'arête du sillet de façon à absorber un peu les vibrations. Au final, le résultat me paraît intéressant.

Avec Bijou (voir [lien] Bijou, du 13/04/2018), Max reste malgré tout un dulcimer très sonore, idéal pour jouer devant un auditoire, mais en contrepartie très difficile à jouer car le moindre défaut s'entend - glissement de doigt ou petit choc contre la touche. La VSL de 26" n'est pas non plus avantageuse à l'usage, contrairement à ce que je croyais au départ. Si elle évite d'avoir à trop étirer les doigts en bas de la touche, où les espaces inter-frettes sont les plus grands, elle resserre ces espaces en haut de la touche et rend difficile le placement précis de gros doigts comme les miens. Ce problème ne se pose évidemment pas pour un jeu traditionnel avec un noteur. Mais ce sont là des imperfections du joueur, et non de l'instrument lui-même...!

Côtés mensurations, Max est long de 89,5 cm au total avec une VSL moyenne de 66 cm (moyenne, pour les raisons données plus haut). Son tour de taille est de 9,5 cm dans la partie la plus étroite; son tour de hanches de 17,7 cm dans la partie la plus large du grand lobe et son tour de poitrine de 14,5 cm dans la partie la plus large du petit lobe. La caisse de résonance est haute de 4,5 cm.

Comme je l'ai déjà mentionné, la touche est plutôt haute (2cm) et large de 3,7 cm, ce qui est assez confortable pour un jeu en accords. Noter que les sillets peuvent aussi accepter jusqu'à 6 cordes. La touche est creuse, en forme de U renversé et son canal communique avec la caisse de résonance, car les deux moitiés de la table ne sont pas jointives au centre. De ce que j'ai pu voir, le montage est fait sans contre-éclisses ni barrages. Avec la finesse des plaques de bois, cela contribue à la légèreté de l'instrument, qui pèse 1 kg tout rond. On sait que cette légèreté est synonyme d'un son ample, chaud et moelleux, ce qui est effectivement le cas ici.

Une étiquette collée au fond de l'instrument indque que Max est un modèle 4FH26CC, fait en janvier 2017 par un dénommé Lewayne Gally.

On peut entendre le son de plusieurs dulcimers McSpadden dans cette vidéo, postée sur Youtube par Robin Clark de Bird Rock Dulcimers [lien], où j'avais déjà trouvé Kite, et qui importe plusieurs modèles de cette marque.

Bird Rock Dulcimers - McSpadden Sound Samples 2 apr 11.wmv

Cette autre vidéo, présentée et commentée (en anglais bien sûr) par Jim Wood, actuel propriétaire de la société, montre comment sont fabriqués les instruments:

Making McSpadden Mountain Dulcimers

Bonne écoute et ...

A+

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  • Autour du dulcimer des montagnes (ou des Appalaches) et d'autres instruments traditionnels, beaucoup de musique et de pratique, un peu d'histoire, de théorie, de souvenirs aussi, bref, tout un bric-à-brac, ... un dulcibric-à-brac.
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