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Dulcibric-à-brac
15 novembre 2020

De touche à oreille

Photo R. Troughear, avec son aimable autorisationAprès avoir passé en revue les différents types de touches et les manières de les produire, cet article s'attache aux propriétés acoustiques de la touche d'un dulcimer des Appalaches et des conséquences de ces propriétés sur notre perception du son d'un instrument.

"La touche est l'un des principaux déterminants de la sonorité d'un dulcimer des Appalaches", écrit Richard Troughear. Et d'ajouter :

"Ainsi, des modifications majeures de la table d'harmonie et du fond ne provoquent qu'un changement mineur du son. Des modifications majeures de la touche provoquent un changement spectaculaire (en angl. dramatic) du son. Il est clair que la touche mérite une mention spéciale quand on parle de ce qui fait le son d'un dulcimer. J'ai le sentiment qu'une touche trop légère et flexible contribue à produire un son très fort, mais exubérant (en angl. brash); trop lourde et rigide, un son doux et fin (en angl. soft and thin). Le juste équilibre entre masse et rigidité, pour un son désiré, est probablement la clé du savoir-faire".

Nous avons dans cette citation les deux paramètres dont beaucoup de ces choses dépendent : masse et rigidité. Pour le dulcimer entier comme pour ses composants, plus de masse déplace le spectre sonore vers les basses fréquences et signifie un son plus chaud et plus moëlleux; plus de rigidité le déplace vers les hautes fréquences et signifie un son plus fin et plus brillant.

types de touchesPour rappel, on trouve essentiellement aujourd'hui sur le marché deux types de touches (voir [lien] Drôle de touche du 21/04/2020). Les touches dites "continues" sont creuses et les parois de leur canal interne sont ininterrompues et collées à la table d'harmonie sur toute la longueur de l'instrument. Les touches "en arches" sont aussi généralement creuses, mais les côtés de leur canal sont découpés comme les piles d'un pont; ont dit aussi parfois "festonnées" (angl. scalloped). L'idée serait de libérer localement la table d'harmonie pour lui permettre de vibrer sous les arches et ainsi produire un meilleur son.

Sont exclues de cette discussion les touches pleines et massives, qui sont à la fois plus lourdes et rigides que les autres types. Même si on en trouve encore sur quelques dulcimers, elles tendent à faire des instruments timides, peut-être adaptés au jeu traditionnel avec un noteur mais certainement pas à un jeu "moderne" avec accords (voir [lien] Drôle de touche du 21/04/2020). Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la transmission du son de la touche vers la table serait moins efface avec une touche pleine collée sur toute sa face inférieure qu'avec une touche évidée aux parois plus fines. Comme quoi l'intuition peut se révéler trompeuse.

Pour ce qui est de la masse, les choses sont simples. Il suffit de peser les objets. Quand ce n'est pas possible, par exemple quand ils ont déjà été collés à d'autres, on peut toujours en calculer le volume à partir des dimensions et le multiplier par la masse spécifique du bois utilisé, qui est très généralement connue (voir [lien] Au fil du bois du 18/09/2018). Celle du noyer, par exemple, est de 610 kg.m-3 (kg au mètre cube).

Pour la rigidité (statique), on peut aussi mesurer la déflexion (= fléchissement) de l'objet sous l'effet d'un poids connu, en lisant directement ce déplacement sur le cadran d'un micromètre. C'est pratique pour comparer la rigidité d'objets différents dans des conditions rigoureusement identiques, comme par exemple, sur la photo ci-dessous, une touche avant et après évidement.

Photo R. Troughear, avec son aimable autorisation

On peut aussi modéliser la rigidité d'objets plus complexes. La première constante à prendre en compte est le module d'élasticité longitudinale (E, exprimé en GigaPascals, GPa) ou module de Young, qui est une propriété intrinsèque du bois, de la même manière que sa densité et sa couleur (voir [lien] Au fil du bois du 18/09/2018). Celui du noyer, par exemple, est de 11,6 GPa (GigaPascals).

    E = F*L/A*ΔL

F est la tension (force) appliquée au matériau pour l'étirer d'une longueur ΔL, L la longueur initiale de la pièce de bois et A sa surface de section transversale.

Une autre constante importante est le moment d'inertie I (exprimé en m4), qu'on appelle aussi moment quadratique (à cause du m4, sans doute) et qui détermine la contrainte d'une poutre soumise à une flexion en fonction de sa forme. La longueur de l'objet n'entre pas ici en ligne de compte. Pour une poutre pleine de section rectangulaire de hauteur h et de largeur l, la formule est :

    I = l*h3/12

La rigidité totale est donnée par le produit I*E. Pour un dulcimer fait entièrement du même bois, noyer ou cerisier par exemple, le module de Young E est évidemment partout le même et n'intervient pas dans les différences de rigidité entre les différentes parties de l'instrument.

Je ne donne ces formules que pour montrer le point fondamental de toute cette histoire de rigidité : la hauteur de l'objet intervient au cube (h3), ce qui signifie que toute légère variation dans la hauteur d'un objet fera décoller sa rigidité beaucoup plus vite que son volume et donc sa masse. La qualité du son d'un dulcimer dépendant principalement d'un équilibre fin entre ces deux paramètres (cf. plus haut), on comprend qu'il faille être vigilant en modifiant la hauteur des objets, touche, table, éclisses, etc.

L'erreur à ne pas commettre, par exemple, est d'augmenter la hauteur des côtés d'une caisse de résonance pour en augmenter le volume, sachant qu'un plus grand volume d'air rend le son plus moëlleux. Ce faisant, on risque d'augmenter la rigidité de la caisse bien plus que le volume et rendre le son résultant plus brillant. C'est ballot!

On peut aussi chercher un son plus brillant en abaissant la hauteur de la touche pour en réduire la masse et rater complètement son effet en réduisant davantage sa rigidité dans la même opération. Sur une touche standard de section rectangulaire de ≈ 32 mm de large sur ≈ 20 mm de haut, un abaissement de 0,8 mm (≈ 4% de la hauteur) diminue la rigidité de 12%, soit trois fois plus que la masse, qui elle n'a diminué que de 4%, comme le volume. Le son sera plus moëlleux que ce que la réduction de masse laissait prévoir.

Attention également à ces magnifiques recouvrements (angl. overlay) d'ébène ou d'autres bois durs et précieux sur le haut de la touche. Ils ont forcément en effet sur la masse et la rigidité de l'ensemble, sans parler d'une possible augmentation de la hauteur totale.

Pour une touche creuse de dimensions extérieures he et le et de dimensions intérieures hi et li, le moment quadratique devient:

    I = (le*he3 - li*hi3)/12

Cette formule peut parfaitement s'appliquer à une touche creuse, en forme de U renversé, comme dans l'exemple ci-dessous où les dimensions extérieures (la touche) et intérieures (le canal creusé dans la touche) indiquées sont une bonne base de départ pour ce type de recherche.

schema_touche_idealeIl faut savoir évider la touche à bon escient, n'enlevant ni trop de bois ni trop peu, de façon à garder ce subtil équilibre entre masse et rigidité. L'évidement d'une touche selon le schéma ci-contre sur environ 70% de sa longueur (c'est à dire du sillet de tête jusqu'au début du strum hollow) réduit la masse d'environ 35% et la rigidité d'environ 38%, c'est à dire raisonnablement dans les mêmes proportions. L'équilibre est sauf...


Photo R. Troughear, avec son aimable autorisation

Ce graphique montre les variations relatives en rigidité (triangles) et masse (carrés) d'une touche creuse de dimensions le = 3,5 cm et li = 2 cm et de hauteurs he et hi (= he - 0,8 cm) variables (ronds), par rapport à celles d'une touche de hauteur fixe 2,54 cm (1") du même bois. Un touche haute de 1,9 cm (3/4") est moitié moins rigide que la version de 1". On voit bien l'ascension rapide des valeurs de rigidité quand l'augmentation de masse reste linéaire.

Photo R. Troughear, avec son aimable autorisationLes propriétés respectives de la touche et de la table d'harmonie, en matière de masse et de rigidité, font que la touche domine l'acoustique de l'ensemble. Elle la domine en masse, de l'ordre de six fois, et en rigidité, de l'ordre de 150 fois. Après collage, les deux parties coopèrent à la réalisation d'un tout cohérent.

La touche joue le rôle d'une entretoise longitudinale qui rigidifie la table, et la table joue en retour le rôle d'un fond pour la touche creuse et oppose sa propre contrainte à la flexion de celle-ci. Il en va de même pour une touche "en arches" où le collage des pieds sur la table ferme les arches et verrouille leurs possibilités de déformation. Dans ces conditions, les paramètres physiques de la touche l'emportent largement sur ceux de la table d'harmonie.

Comme à son habitude (voir [lien] Sous le capot du 29/11/2018, [lien] De bois et d'air du 09/06/2019), Mr. Richard Troughear a étudié en grand détail les effets de ces paramètres, masse et rigidité. Il avait l'habitude de construire des dulcimers indifféremment avec des touches creuses continues et des touches pleines en arches et n'avait jusqu'alors remarqué aucune différence sensible dans la qualité et le volume du son, dans les limites de la variabilité habituelle. Sa préférence du moment pour les touches en arches était essentiellement esthétique:

"J'utilise aussi bien des touches creuses qu'en arches, comme l'envie me vient, ou en fontion de l'aspect du bois ou de ce que ma femme dit que je devrais faire, vous savez, la Méthode Scientifique ... je ne pense pas que ça fasse quelque différence que ce soit. Ce qui fait la différence, c'est la résultante de masse et de rigidité de l'ensemble table+touche, que la touche va dominer, qu'elle soit creuse ou en arches" (trad. Dulcibric-à-brac").

Pressé malgré tout de se prononcer en faveur de l'un ou l'autre type de touche, R. Troughear a réalisé l'expérience suivante. Recyclant une caisse de résonance d'un ancien dulcimer de sa construction, il a monté dessus successivement: i) une touche formée d'une longue arche unique, ii) une touche à arches multiples (4) avec des pieds massifs formés de petits inserts de bois collés sous la touche unique précédente, et iii) une touche continue creusée selon le schéma donné un peu plus haut. Les trois configurations de touche étaient en acajou de densité moyenne et étaient de hauteurs égales (22 mm).

Photos R. Troughear, avec son aimable autorisation

Une différence était que, dans le cas de la touche creuse continue, la table d'harmonie avait été ouverte sous la touche pour faire communiquer l'air de son canal avec celui de la caisse de résonance comme illustré ci-dessous et décrit dans [lien] Drôle de touche du 21/04/2020. Cette modification n'est pas connue pour changer significativement le son de l'instrument

Photo R. Troughear, avec son aimable autorisation

Côté masse, la touche continue creuse était la plus légère (200 g), suivie de l'arche unique (209 g) et de la touche à 4 arches (218 g). Les rigidités étaient évidemment très différentes, mais les valeurs pour les touches isolées n'ont plus vraiment de sens après collage sur la table. Le dulcimer était ensuite retendu avec les mêmes cordes et le même chevalet en os avant la réalisation des tests.

Comme attendu, les trois configurations produisaient des sons assez différents. La touche continue creuse était significativement la plus sonore et l'arche unique la plus timide. L'arche unique souffrait aussi d'une nette variabilité dans la qualité et le volume du son dans la région centrale (frettes 5-7). De plus, cette touche avait tendance à fléchir sous la pression des doigts en frettant dans sa région médiane et la configuration ne gardait pas très longtemps l'accordage. Le son semblait un peu étouffé et manquait de sustain. Il semblait plutôt moëlleux, mais plus par un défaut d'aigus que par une mise en valeur des basses. L'impression générale n'était tout compte fait pas très plaisante.

Pour les deux autres configurations (arches multiples et touche continue creuse), le match était beaucoup plus serré et dépendait finalement des conditions d'audition. La touche à 4 arches était plus sonore (62.4 dB) que la touche en arche unique (60,9 dB) et le son était significativement amélioré, avec cependant un écho un peu agressif. La première place revenait à la touche continue creuse (64,3 dB), avec aussi plus de sustain et plus de "punch", qualités également réparties sur toute la longueur de la touche. Le son en était globalement plus plaisant à l'oreille que pour les deux configurations en arches.

Mais (car il y a un mais) tout changeait à l'enregistrement. C'est le son de la touche à arches multiples qui était alors jugé le plus plaisant sur les clips audio, une impression confirmée par les mesures:
• plus haut centre de gravité des fréquences du spectre (= la fréquence moyenne du spectre, pondérée par l'énergie) synonyme d'un son plus "brillant",
• plus grande variation des fréquences autour de ce centre (écart-type à la moyenne), signifiant une plus large gamme de partiels et
• meilleur équilibre de l'énergie en dessous et au dessus du centre, indiquant que les fréquences des basses et des aigus sont toutes amplement présentes.
La touche continue creuse venait en seconde position dans ces mesures, mais à quelque distance de la touche en arches. Quant à l'arche unique, elle était très loin derrière.

Ceci indique que la perception d'un instrument en "live" peut être différente de celle du même instrument enregistré, et je l'ai moi-même constaté avec les dulcimers de ma collection. Il est aussi important de noter que beaucoup de dulcimers modernes ont des touches en arches évidées et non pas pleines comme illustré ici. La nuance a sans doute du sens en termes de masse et de rigidité. Il n'en reste pas moins que le son d'un dulcimer n'est pas dramatiquement différent entre touche creuse continue et touche à arches multiples. C'est finalement une question de goût personnel...

Les vibrations du dulcimer ont ensuite été testées par excitation par un haut-parleur sur une gamme de fréquences, comme déjà décrit (voir [lien] De bois et d'air du 09/06/2019). Pour voir l'effet du type de touche sur les profils de vibration, le dulcimer a d'abord été testé sans aucune touche, puis successivement dans les trois configurations déjà décrites. Les tests ont été réalisés jusqu'à 1000 Hz mais, comme toujours avec les dulcimers, les modes de vibration deviennent trop proches et ne se distinguent plus les uns des autres au dessus de ≈ 600 Hz. De toute façon, le luthier n' a pratiquement aucun moyen d'agir sur les fréquences supérieures à 500 Hz.

Les principaux modes de vibration d'un dulcimer sont définis et détaillés dans [lien] De bois et d'air du 09/06/2019. Pour les trois types de touches, le premier mode de l'air (A0, principalement déterminé par le volume de caisse) avait basiquement la même fréquence avec ou sans touche. Le premier mode de barre (1B) restait lui aussi inchangé en fréquence une fois les touches collées. A partir de là, en montant dans le spectre sonore, le dulcimer à arche unique et à un moindre degré à arches multiples avaient plusieurs modes de vibration en commun avec le dulcimer sans touche. La touche continue creuse ne conservait quant à elle que les deux premiers modes de l'air et de barre du dulcimer sans touche.

Le fond du dulcimer montrait les mêmes profils de vibration pour les trois types de touche, avec la variabilité normalement observée quand on compare différents dulcimers, et quelquefois dans un ordre différent des fréquences.

Photos R. Troughear, avec son aimable autorisation

A gauche sur les photo ci-dessus, le premier mode de barre (autour de 200-210 Hz) montrait les mêmes lignes nodales plus ou moins transversales et souvent incurvées sur le (grand) lobe inférieur, probablement du fait d'un chevauchement du premier mode de l'air (A0) avec le premier mode de barre (1B). A l'autre extrémité du spectre exploitable (photo de droite - vers 670 Hz), un même mode de vibration du bois montrait des lignes nodales tout à fait insensibles au type de touche utilisé, mais à une fréquence légèrement inférieure (631 Hz) pour la touche continue creuse.

En ce qui concerne la table d'harmonie, le premier mode de barre (colonne de gauche ci-dessous) était assez différent pour les trois types de touches, mais les extrémités des lignes nodales, sur les bords de la table, étaient aux mêmes positions que sur le fond. La flexion du dulcimer entier comme une barre se faisait donc au même niveau sur les éclisses, mais sur la table d'harmonie les lignes nodales semblaient suivre des chemins différents.

Photos R. Troughear, avec son aimable autorisation

Pour la touche à 4 arches, la ligne nodale inférieure était plutôt transversale, ce qui semble impliquer que l'assemblage table+touche est effectivement également rigide tout au long de la touche, incluant la région du strum hollow, quelle partageait pratiquement en deux moitiés égales. Ce profil de vibration de la table semble calqué sur celui du fond à la même fréquence, un peu comme si la touche était "transparente" aux vibrations.

Avec l'arche unique au contraire, la ligne nodale inférieure passait sous l'arche (sa courbure était inversée) là où l'assembage table+touche est clairement plus flexible, certainement moins rigide en tous cas que dans la région du strum hollow. On rappelle que les lignes nodales sont des noeuds bi-dimensionnels où les vibrations sont nulles et où la sciure s'accumule, chassée par les vibrations des autres régions. Une telle préférence pour les zones de moindre rigidité pourrait partiellement rendre compte du défaut de sustain observé dans cette configuration par rapport aux deux autres. Avec la touche creuse, les lignes nodales ne semblaient pas trop savoir où aller et on se retouve avec un dulcimer en torsion plutôt qu'en flexion.

A l'autre bout du spectre exploitable (colonne de droite ci-dessus - vers 670 Hz), on avait exactement le même mode pour les trois touches, quoiqu'à une fréquence légèrement plus basse (631 Hz) pour la touche continue creuse, comme pour le fond. Dans cette gamme de fréquences, les vibrations concernaient les mêmes zones de la table quel que soit le type de touche. Cela veut dire que les touches très différentes n'empêchent pas les tables de vibrer d'une manière possiblement dictée par la table elle-même, plutôt que par la touche.

Par contre, bien que les profils de vibration soient tous généralement les mêmes, les touches influençaient ici les tables d'une manière qui pouvait bien affecter le son. Le profil de vibration était différent sur les lobes inférieur et supérieur pour les différentes touches. Avec l'arche unique, il y avait une vibration bien définie du lobe supérieur et de la région de la taille (car la sciure a été chassée de ces zones), mais le lobe inférieur avait une large surface, à partir du début du strum hollow jusqu'à l'extrémité de l'instrument, qui ne vibrzit pas du tout et où la sciure restait dispersée (photo ci-dessous).

Photo R. Troughear, avec son aimable autorisation

L'inverse était vrai pour la touche creuse: le lobe inférieur vibrait nettement plus que le lobe supérieur. La touche à 4 arches était un peu plus diffuse dans sa vibration sur la table entière, ce qui suggère que la distribution de la rigidité le long de la touche peut influencer un mode résonant de la table d'harmonie pour la faire vibrer plus ou moins fort en différents points. Pour l'arche unique, ce défaut de vibration sur le lobe inférieur était observé dans plusieurs résonances.

En résumé, l'arche unique est moins rigide vers l'extrémité supérieure de l'instrument (c'est à dire sous l'arche), favorisant une vibration du (petit) lobe supérieur, moins efficace au plan sonore. Les arches multiples ont une meilleure répartition de la rigidité; la table vibre dans son entier, mais de façon diffuse. La touche creuse continue est quant à elle moins rigide dans la région du strum hollow, et favorise les vibrations de la table sur le (grand) lobe inférieur, qui est le plus productif au niveau sonore. L'argument qui veut qu'une touche en arches facilite les vibrations de la table d'harmonie ne vaut donc que pour l'arche unique, et encore seulement pour une partie de l'instrument.

Photo R. Troughear, avec son aimable autorisationToujours à propos de la touche, on peut se demander si la pose des frettes, et en particulier les traits de scie dans lesquels s'insèrent les fils, pouvait avoir un impact sur les propriétés de la touche. Des tests de rigidité statique (voir plus haut) ont été réalisés sur une touche en palissandre (angl. rosewood) d'une masse spécifique de 659 kg/m3, longue de 650 mm, haute de 20,5 mm et large de 30 mm. Les traits de scie ont été réalisés avec une lame de scie de table Stewart-MacDonald n°1557 et des fils de frettes Stew-Mac n°0148 medium/medium de soie 1,6 mm ont été utilisés.

Ainsi réalisés dans un bois de faible ou moyenne densité, les traits de scie peuvent diminuer la rigidité de 5-10% par rapport à la touche brute. Pour un dulcimer standard, les traits de scie abaissent donc légèrement la rigidité de la touche et l'insertion des fils de frettes ne restaure pas la rigidité initiale. Noter que les dimensions du strum hollow, en particulier sa profondeur, affectent aussi la rigidité locale de l'ensemble table+touche.

Un dernier point est la position du chevalet sur la touche. Il ne concerne évidemment que les "vrais" dulcimers des Appalaches, ceux dont le sillet de chevalet est inséré dans une fente de la touche elle-même, et non pas ces dulcimers (dulguitares?) dont le chevalet repose directement sur la table d'harmonie, dans diverses configurations, avec ou sans rosace.

Photo Dulcibric-à-brac

Il y a eu un grand débat dans la communauté dulcimérienne à ce sujet. Deux effets sont à considérer: le volume sonore et la qualité du son. Il semble à peu près admis qu'un chevalet plutôt éloigné de l'extrémité de l'instrument (cf. les deux dulcimers de gauche ci-dessus) est associé à une légère augmentation du volume sonore. Pourquoi ?

Une hypothèse explique le phénomène par la présence du bloc terminal, ce bloc de bois massif sur lequel les plaques de bois, table d'harmonie, fond et éclisses se rejoignent à l'extrémité du dulcimer.

Photo D. Berch, avec son aimable permission

Caché à l'intérieur de la caisse de résonance, on le soupçonne d'absorber/amortir les vibrations des cordes, d'autant plus quand le chevalet est placé directement au dessus de lui (cf. les deux dulcimers de droite un peu plus haut). Un chevalet plus avancé, c'est à dire placé au dessus du (grand) lobe inférieur, au delà du bord interne du bloc terminal, permettrait une meilleure transmission du son entre la touche et la table.

Au plan qualitatif cependant, il semble qu'un chevalet proche de l'extrémité (donc au dessus du bloc terminal) permette un meilleur détachement des aigus et des graves, et donc un son plus net et clair, alors qu'un chevalet plus avancé sur la table mettrait en valeur une gamme sonore moyenne un peu brouillée, ce qu'en anglais on qualifie de "honk" (litt. klaxon). C'est en tous cas le phénomène observé avec le dulcimer McSpadden 26" (cf. [lien] Max, ou l'excellence, du 03/02/2020) où le corps de même longueur de son cousin 28.5" est utilisé avec les sillets de tête et de chevalet simplement déplacés vers l'intérieur de la table.

Photo R. Troughear, avec son aimable autorisationCette histoire de bloc terminal a donné lieu à des recherches pour améliorer le son, en tâchant de découpler l'ensemble touche+table du dit bloc. D'abord, les cordes ne doivent plus s'attacher sur le bloc terminal, comme c'est le cas ci-dessus pour les deux dulcimers de droite et pour le Case #1 ci-contre (No Undercut), mais sur l'extrémité de la touche elle-même, comme pour les deux dulcimers de gauche ci-dessus et pour le Case #2 (No Undercut) ci-contre.

Ensuite, la touche ne doit plus avoir aucun contact (= découplage) avec le bloc terminal. Pour cela, une fente (angl. undercut) est laissée libre sous cette partie de la touche (flèche en Case #3 Undercut), comme font un certain nombre de luthiers. Il est alors possible de rétablir le couplage en insérant une lamelle de bois qui rétablit un contact physique entre la touche et le bloc (Case #4 Undercut, Wedged).

Le résultat est dans tous les cas un son différent, qui n'est pas nécessairement un son meilleur. La configuration avec fente libre (Case #3 Undercut) semble produire un son plus chaud, ce que conforte l'apparition d'une nouvelle résonance dans les spectres vers 430 Hz, région de fréquence qui augmente la sensation de chaleur et de moelleux. Toutes les autres fréquences de résonance restent inchangées; ce sont leurs amplitudes respectives qui varient, en particuler autour de la nouvelle résonance de 430 Hz. Par ailleurs, la fente ne semble pas modifier les profils de vibration ni les résonances caractéristiques de la caisse. Le phénomène disparaît et le son initial est restauré dès qu'on remet en contact la touche et le bloc terminal, par exemple en insérant une lamelle de bois dans la fente (Case #4 Undercut, Wedged).

Une subtile modification du son, donc, dont la contrepartie est la force de tirage des cordes sur l'extrémité libre de la touche où elles sont fixées, qui avoisine les 6 kg. en accordage DAd. Il n'est pas sûr que tous les bois de touche résistent à cette traction sur le long terme.

En guise de récréation après cet article studieux, voici une vidéo où le musicien et luthier David Beede [lien] fait la démonstration de son dulcimer "découplé" et d'un usage inhabituel de la carte de crédit...


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