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Dulcibric-à-brac
10 juillet 2021

Opossum ou possum?

maman_opossum_lettres

Un peu de zoologie pour commencer: doit-on dire opossum ou possum?  On peut dire les deux, en fait, car il s'agit de deux animaux distincts, mais tout le monde ne le sait pas et c'est le point de départ d'une certaine confusion ....

Le nom opossum a d'abord été utilisé par les premiers colons britanniques au début du XVIIème siècle pour désigner l'opossum de Virginie Didelphis virginiana. Probablement emprunté à l'origine à la langue indigène locale Pohwatan (sous les formes opassum ou apossum), ils recouvre aujourd'hui plus de cent espèces différentes de marsupiaux américains, dispersés du nord au sud du continent, membres des familles des Didelphidés et des Cénolestidés.

brushtail_possum_lettres

Le nom possum s'applique, quant à lui, à un groupe de marsupiaux membres du sous-ordre des Phalangeriformes, trouvés en Australie et dans les îles alentours, en Papouasie Nouvelle-Guinée et en Indonésie. On devrait ce nom au naturaliste anglais Joseph Banks, compagnon de voyage du capitaine Cook, forgé peut-être sur la base d'une vague ressemblance entre les deux sortes d'animaux. La perte du "o" initial pourrait être une manière de faire la différence.

On devrait donc utiliser le mot opossum en Amérique et le mot possum en Australie et ses environs, mais possum est assez largement utilisé aux Etats-Unis, en particulier dans le sud et le middle west, pour désigner l'opossum local. Il y a d'ailleurs donné naissance à des expressions courantes comme "to play possum", que nous traduirions par "faire le mort" et qui s'applique à une stratégie de l'animal pour tromper ses prédateurs.

Dans un tout autre domaine, celui de la musique, on appelle "possum board" (litt. planche opossum) une sorte de planche ouvragée munie de supports sur lesquels on pose le dulcimer des Appalaches pour en augmenter, soit-disant, le volume sonore et en enrichir la tonalité. Je n'ai pas trouvé trace d'une explication de cette référence animalière dans le monde musical. Peut-être la possum board porte-elle le dulcimer sur son dos comme la maman opossum ses petits? Je n'ai rien trouvé de mieux à proposer ...

dulcimer_possum_board

Très en vogue dans les années (19)60, ce dispositif était proposé par différents constructeurs comme MacSpadden et Folkcraft (illustration ci-dessous). Beaucoup aussi étaient fabriqués de manière artisanale, quelquefois par les musiciens eux-même ou un proche, voire un voisin un peu bricoleur.

possum_board_folkcraft

L'utilité de cet accessoire est surtout de lutter contre un phénomène connu des joueurs de dulcimer sous le nom de "knee damping" (litt. atténuation par les genoux). On constate en effet, sur certains instruments, un changement perceptible du volume sonore et du timbre lorsqu'ils sont posés sur les cuisses du joueur assis, comme c'est le cas le plus souvent.

Ce phénomène de knee damping est assez complexe à analyser. Il dépend à la fois de l'architecture du dulcimer, en particulier de la rigidité de da caisse de résonance, et de la fréquence du son: un dulcimer y est généralement d'autant plus sensible qu'il est accordé bas. Le nom même du phénomène évoque une atténuation (angl. damping), un amortissement du volume sonore avec un son plus brillant, même si pour quelques dulcimers on observe un phénomène inverse ...

spectres_1

Pour Mr. Richard Troughear [lien], luthier à Brogo en Nouvelles Galles du Sud (Australie), l'atténuation serait principalement (mais pas exclusivement) due à un découplage partiel entre les résonances du bois du fond et celles de l'air contenu dans la caisse de résonance et serait directement lié à la rigidité du fond de cette caisse. La figure ci-jointe montre deux spectres de fréquences des résonances du bois obtenus en tapant sur le chevalet d'un même dulcimer avec un petit marteau de caoutchouc (angl. tap spectra - voir [lien] De bois et d'air). Le spectre supérieur (marqué Off Knee) correspond au dulcimer suspendu en l'air, sans aucun contact, et le spectre inférieur (marqué On Knee) correspond au même dulcimer posé sur les genoux et maintenu par une pression des doigts. Il s'agit ici d'un dulcimer en forme de sablier pourvu d'une table d'harmonie en Werstern Red Cedar et d'un fond en palissandre de Nouvelle Guinée.

En bref, ces spectres montrent sous la forme de pics (y, en ordonnées) les fréquences (x, en abscisses) où le bois résonne le plus fortement quand on l'excite par un choc (les cordes étant étouffées par un chiffon). On voit sur la figure les deux plus basses résonances de l'air, marquées A0 pour la première et A0' pour la seconde (pour une définiton de ces résonances, voir [lien] De bois et d'air). Ce sont normalement des fréquences de vibration de l'air contenu dans la caisse de résonance, mais elles apparaissent dans ces spectres car elles sont fortement couplées aux résonances du bois (c'est à dire que toute vibration de l'air à ces fréquences fait vibrer le bois à la même fréquence). En posant l'instrument sur les genoux, on abaisse l'amplitude des pics A0 et A0', ce qui signifie que le couplage est moins efficace et qu'une partie de l'énergie vibratoire est perdue, peut-être en rapport avec un abaissement du niveau sonore. On note également que les fréquences de A0 (initialement vers 225 Hz) et A0' (initalement vers 350 Hz) se décalent légèrement vers le haut du spectre, d'environ un demi-ton. Dans le cas illustré ici, de plus, un grand pic de résonance du bois situé vers 415 Hz est presque totalement supprimé au contact des genoux. Compte tenu de l'importance de ces fréquences dans le timbre de l'instrument, il est probable que ces modifications du spectre se reflètent dans la "couleur" du son émis, sans doute un peu moins chaud et moins moëlleux.

Il faut noter encore que ce phénomène est d'autant plus important que le fond de la caisse de résonance est flexible, soit parce qu'il est taillé dans un bois souple ou parce qu'il n'est pas suffisamment étayé par un barrage (= un jeu d'entretoises - voir [lien] Sous le capot). Le fait qu'un fond flexible favorise les basses fréquences est cohérent avec l'analyse spectrale illustrée ci-dessus, où la région du spectre en dessous de 500 Hz est la plus affectée. Un fond plus rigide, taillé dans un bois plus dur ou soutenu par un barrage plus conséquent favorisera de plus hautes fréquences et sera de ce fait moins sensible au knee damping. En toute logique, le knee damping contraint le fond, ce qui revient à en augmenter la rigidité et donc à faire tendre A0 et A0' vers la fréquence de Helmholtz (voir [lien] De bois et d'air), toujours plus élevée.

Créée principalement pour réduire ou annuler le knee damping, la possum board peut-être vue comme un double fond amovible pour l'instrument. Il existe par ailleurs des dulcimers pourvus d'un double fond permanent, conçu dans le même but. C'était à l'origine une caractéristique des dulcimers de Virginie dits "Galax", en forme de bateau, où un double fond était collé, séparé du fond principal par de petites cales en bois espacées sur tout le tour du dulcimer (photo ci-dessous). Elle a par la suite été étendue à d'autres types de dulcimers, aussi bien en forme de goutte d'eau (angl. teardrop) que sablier (angl. hourglass ou sandglass) :

dulcimer_double_fond

Dans cette configuration, c'est le double fond qui est au contact des genoux du joueur et qui joue le même rôle que la possum board. Le fond principal, libre de toute contrainte, peut ainsi vibrer à son aise.

Autre avantage possible: les vibrations de l'instrument seraient transmises au double fond ou à la possum board, qui vibrerait et créerait du son additionnel, contribuant ainsi elle/lui-même au son global. Il faut bien sûr pour cela qu'il y ait un étroit contact bois contre bois. Pour ne pas abîmer le vernis de leur instrument, certains utilisateurs garnissent les supports de la possum board avec des petites pièces de feutre, limitant la transmission des vibrations et réduisant très significativement l'efficacité du système. Comme quoi le mieux est (parfois) l'ennemi du bien...

Certains luthiers, enfin, proposent que les vibrations du "vrai" fond de l'instrument soient réfléchies par le double fond ou par la possum board et qu'une partie du son ainsi réfléchi sorte par les interstices latéraux, entre les cales ou les supports, en direction de l'auditoire. Il redirigerait vers l'audience le son qui est normalement émis vers le sol, entre les jambes du joueur, d'où la sensation d'un gain de niveau.

Fidèle à sa curiosité légendaire, Mr. Richard Troughear s'est lancé dans la construction et l'analyse d'un dulcimer à double fond pour vérifier ces différentes hypothèses. Il a choisi un dulcimer avec un fond très flexible taillé dans du Balsa, sur lequel il a monté un double fond plus rigide (Yellow Stringybark = un eucalyptus local) moyennement rigide, séparé du fond original par des cales en bois de ≈ 1,3 cm de hauteur (1/2"). Dans un premier temps, il a évalué l'intensité du knee-damping dans différents cas de figure, en comparant les spectres du bois "Off Knee = Free Back" et "On Knee = Damped Back" (cf. plus haut) de plusieurs dulcimers :

spectres_2

Tout en haut de cette figure, la première paire de spectres décrit l'effet du knee damping avec un fond flexible, le dulcimer étant soit tenu en l'air (Free Back) soit tenu sur les genoux (Damped Back). Au milieu de la figure, la seconde paire de spectres décrit pareillement l'effet observé avec un fond rigide. Dans les deux cas, le fait d'appuyer le dulcimer sur les genoux modifie le spectre des résonances du bois, mais un peu plus nettement avec le fond flexible qu'avec le fond rigide, particulièrement pour les plus basses fréquences (≤ 500 Hz).

La troisième paire de spectres presques identiques, visible en bas de la figure montre nettement l'efficacité du double fond dans l'inhibition du knee damping. En particulier, les deux plus basses résonances de l'air sont presque totalement insensibles au fait que le dulcimer soit joué sur les genoux, mais (il y a un mais) le collage du double fond modifie la hauteur totale de l'instrument et donc sa rigidité (on se rappelle que la rigidité d'un objet varie avec le cube de sa hauteur).

mesure_rigidite

De fait, la pose d'un double fond augmente la rigidité globale de l'instrument et élève la fréquence du premier mode de barre (voir la définition de ce mode dans [lien] De bois et d'air) d'environ 3 demi-tons (300 cents - ici, de 222 à 270 Hz), ce qui devrait avoir pour conséquence de rendre la sonorité du dulcimer plus brillante. En fait, la pose du double fond augmente aussi la masse de l'instrument avec pour conséquence un son plus chaud et plus moëlleux. Il semblerait que les deux phénomènes s'annulent dans l'exemple choisi. Il y a aussi une légère baisse d'amplitude des résonances dans la région 1200-1400 Hz, mais à l'oreille on reste au final très proche du son initial du dulcimer avant la pose du double fond.

mesures_micro

Dans un second temps, Mr. Troughear a mesuré le niveau sonore en différents poins de l'espace autour d'un dulcimer en plaçant un petit micro dessus, dessous ou sur les côtés de l'instrument dont les cordes sont pincées. La technique est celle déjà décrite dans [lien] Sous le capot. Les valeurs mesurées sont des niveaux de pression accoustique (SPL = Sound Pressure Levels*). Les mesures ont été faites successivement avec le dulcimer pourvu de son fond original en Balsa (fond unique) puis avec le même dulcimer équipé de son double fond en Stringybark.

note_1

De façon assez surprenante compte-tenu de l'impression auditive, les résultats des mesures avec le double fond sont pratiquement identiques au résultats obtenus avec le dulcimer original et son simple fond de Balsa. Le double fond ne semble pas changer les rapports des volumes sonores entre les différentes parties de l'instrument : dessus (table d'harmonie + touche)/fond (le dessus reste une fois et demi plus sonore que le fond dans les deux cas) et dessus/éclisses (les côtés). Aucun son additionnel ne semble produit, ni en dessous de l'instrument ni sur ses côtés. L'impression auditive globale serait donc plutôt à rechercher dans des changements de timbre.

Je retiens au final que dans l'exemple étudié ici le double fond limitait efficacement certains aspects du knee-damping. Cependant, le fond et le dessus de l'instrument (table d'harmonie + touche) restaient dans le même rapport sonore et on ne constatait aucune augmentation latérale du volume. Il ne semble donc pas que le double fond ajoute du son sous l'instrument. De la même manière, il n'a pas été mesuré d'augmentation du niveau sonore sur les côtés, ce qui tend à discréditer l'hypothèse d'une réflexion du son émis entre le fond original et le double fond et sa redirection sur les côtés de l'instrument. Ces mesures ne concernent qu'un seul instrument et il se peut, bien évidemment, que d'autres instruments puissent se comporter différemment.

Afin d'éclaircir le mystère d'une réflexion latérale des ondes sonores par le double fond, une petite simulation [lien] peut être réalisée en ligne. Elle permet de prédire le trajet des ondes sonores émises par un objet vibrant dans différentes configurations. On peut par exemple simuler une coupe transversale dans la caisse de résonance d'un dulcimer (un simple rectangle, en fait) passant soit à distance des ouïes (rectangle fermé) soit à leur niveau (rectangle à deux ouvertures sur le dessus). Le fond de l'instrument est traîté comme un objet (source) vibrant plan qui ne fait que monter et descendre légèrement à la fréquence voulue, un peu comme la membrane d'un haut-parleur. Toute onde produite dans et autour du "dulcimer" résulte de réflexions de l'onde plane générée par le fond vibrant :

simulation_1

Cette figure montre (à gauche) des coupes transversales au niveau des ouïes et (à droite) des coupes transversales ne passant pas par les ouïes. En haut de la figure, le dulcimer est posé sur une table (Dulcimer on Table) dont il est séparé par un petit espace (angl. small gap) simulant la présence de pieds. En bas de la figure, le dulcimer est "suspendu" dans l'air (Dulcimer in mid air). Le tracé des ondes est d'autant plus contrasté qu'elles mettent en jeu plus d'énergie. Dans ce modèle, la table d'harmonie et les éclisses sont rigides et ne vibrent pas. Elles se contentent de réféchir le son émis par le fond. On voit clairement que le plus gros des ondes émises par le fond sort de la caisse de résonance par les ouies. Du son est également émis sous l'intrument quand celui-ci est suspendu en l'air. Un peu de son s'échappe latéralement de l'espace laissé libre entre le dulcimer et la table sur laquelle il est posé, mais les ondes correspondantes ont relativement peu d'énergie (= moins de contraste sur le dessin) comparées au reste.

simulation_2

Comme on peut le voir sur la figure ci-dessus, le rayonnement sonore latéral dépend directement de la fréquence des vibrations imposées au fond. La simulation précédente fixait la fréquence sonore à 8 kHz, soit une longueur d'onde λ = c/f = 330/8000 ≈ 0,04 m soit 4 cm (où c = 330 m.s-1 est la vitesse du son dans l'air à 20°C). Une fréquence de ≈ 2 kHz (simulation de gauche) correspond à une longueur d'onde de 16,5 cm, bien trop grande par rapport à la hauteur (≈ 2-3 cm) de l'espace laissé sous le fond. Seules les ondes émises par les ouïes sont visibles sur la figure et rien ne sort sur les côtés. Une fréquence de 15 kHz, par contre, correspond à une longueur d'onde de ≈ 2,2cm qui permet une échappée plus significative du son par les côtés.

Toutes ces simulations ont été faites dans une gamme de fréquences largement inaudibles à l'oreille humaine et plus particulièrement aux individus de plus de 50 ans. Il est donc plus qu'improbable que l'impression de volume sonore qu'on pense percevoir avec une possum board ou un double fond provienne d'une réflexion latérale pour des ondes dont la fréquence ne dépasse en général pas 500 Hz (λ ≥ 66 cm). CQFD.

poutre-pieds

Les vibrations du dulcimer sont très communicatives. Richard Troughear raconte avoir essayé d'annuler ces vibrations en fixant fermement un dulcimer sur un gros madrier en bois à l'aide de serre-joints, à la limite de l'écrasement des deux blocs terminaux (photo de gauche ci-dessus). Non seulement le dulcimer vibrait toujours et pouvait être joué, mais en plus il faisait vibrer le madrier. On ne s'étonnera donc pas qu'un dulcimer fasse vibrer une table sur laquelle il est posé, et peut-être même plus encore. C'est d'ailleurs plutôt ainsi que les anciens jouaient du dulcimer (ou de son ancêtre germanique le scheitholt/scheitholtz), quand il fallait animer les bals. Beaucoup des dulcimers fabriqués dans l'ancien temps étaient munis de petits pieds en bois, souvent trois dont deux en périphérie du grand lobe et un à l'extrémité du petit lobe. C'est encore la configuration utilisée par Richard Troughear pour ses propres dulcimers (photo de droite ci-dessus).

dulcimer_table_plancher

Un petit transducteur piezo permet de mesurer l'amplitude des vibrations en différents endroits sur et autour d'un dulcimer. Dans l'expérience illustrée sur ces images, l'amplitude des vibrations de la table était égale à la moitié de celle des vibrations de la table d'harmonie du dulcimer posé dessus. Surprise : on pouvait encore mesurer les vibrations du plancher sous la table avec une amplitude d'un dixième de celles de la table. Toutes ces vibrations sont bien sûr génératrices de son.

Je ne vous raconte pas l'effet produit par un dulcimer posé sur le couvercle d'un piano !!

A+

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  • Autour du dulcimer des montagnes (ou des Appalaches) et d'autres instruments traditionnels, beaucoup de musique et de pratique, un peu d'histoire, de théorie, de souvenirs aussi, bref, tout un bric-à-brac, ... un dulcibric-à-brac.
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